Petits Budgets

Commencer sa vie dans la précarité péjore son futur. Caritas le sait et soutient les enfants et les jeunes touchés par la pauvreté tout en prônant des solutions sur le plan national.

En Suisse, quelque 134 000 enfants sur environ 1,7 million sont touchés par la pauvreté. Cela signifie que dans chaque classe d’école du pays, il y a en moyenne plus d’un enfant touché par la pauvreté et plus de trois menacés de l’être. Et si quelque 265 100 personnes recourent à l’aide sociale, un tiers de celles qui en bénéficient sont des enfants et des jeunes. Le taux d’aide sociale des personnes mineures est de 5%: c’est le taux le plus élevé en regard de toutes les autres tranches d’âge!

Caritas Suisse a pris position en 2019 déjà, jugeant que la pauvreté des enfants est intolérable en Suisse, mais, depuis lors, le nombre d’enfants touchés par la pauvreté a encore augmenté dans une indifférence assourdissante. Les Caritas régionales de Suisse romande ne pouvaient rester insensibles. Elles ont déployé toute une série d’actions pour conseiller, former, orienter ou simplement épauler les familles et les jeunes qui viennent leur demander de l’aide.

En 2020, environ 8,7% des jeunes de 0 à 17 ans et 6,9% des jeunes de 18 à 24 ans vivaient dans la précarité selon l’Office fédéral de la statistique (OFS).

L’article 11 de la Constitution fédérale souligne pourtant que les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement. Or être pauvre, ne pas manger correctement tous les jours, ne pas bénéficier du confort nécessaire à un repos salutaire dans des appartements trop petits et peu chauffés ou ne pas pouvoir étudier dans le calme sont des facteurs qui freinent considérablement le développement des enfants et des jeunes. Il peut aussi toucher à leur intégrité en raison de problèmes de santé dus à une piètre hygiène de vie. Les liens sociaux peuvent également être amputés, car il est compliqué d’inviter ses copines et copains d’école dans un lieu trop exigu ou dans sa chambre en sous-location ou encore, quand on est un jeune adulte, de rendre une invitation pour aller boire un verre.

Lutter ensemble contre la pauvreté des enfants

En 2020, environ 8,7% des jeunes de 0 à 17 ans et 6,9% des jeunes de 18 à 24 ans vivaient dans la précarité selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les difficultés financières découlent de multiples sources, mais sont souvent liées aux contraintes administratives ou à une méconnaissance du système d’aides sociales. Actuellement, la Confédération laisse les Cantons gérer seuls la lutte contre la pauvreté en général et celle des enfants et des jeunes en particulier, ce qui entraîne des inégalités.

«Le déterminisme social existe malgré tous les efforts de l’institution scolaire qui vise l’égalité des chances.»

Eva Nada, sociologie

Des politiciennes et des politiciens suisses tentent bien d’alerter au sujet de cette problématique en déposant des initiatives parlementaires depuis un certain nombre d’années, comme celle de la socialiste Valérie Piller Carrard en 2020 ou celle du groupe des Verts, soutenue par Caritas Suisse, en 2023. Leur objectif, obtenir une base légale pour lutter contre la pauvreté des enfants sur le plan national par des versements directs aux familles comme cela se fait déjà dans quatre cantons (Genève, Vaud, le Tessin et Soleure) avec des prestations complémentaires, les PC familles. Au Tessin, le nombre de ménages bénéficiaires de l’aide sociale avec enfant s’est stabilisé depuis l’instauration des PC familles, et les enfants ne risquent plus de se retrouver dans la pauvreté. Dans le canton de Vaud, la part des familles bénéficiaires de l’aide sociale est passée de 70% en 2011 (année de mise en place des PC familles) à 10% en 2017.

Naître pauvre et le rester

Pour l’instant, une majorité des élus au parlement reste sourde aux multiples alertes, alors que grandir dans une famille pauvre dans des quartiers où la plupart des personnes se trouvent dans une situation de précarité marque durablement. Parfois de manière positive, comme cela a été le cas pour Danny Khezzar, devenu chef à 27 ans, mais le plus souvent, hélas, négativement.

«Pour cuisiner, je suis mes émotions»

Demi-finaliste de l’émission Top Chef 2023, Danny Khezzar, le jeune chef du restaurant étoilé Bayview à Genève est aussi un rappeur passionné. Il a côtoyé la précarité et n’oublie pas d’où il vient.

Lire le portrait de Danny Khezzar

«Le déterminisme social existe malgré tous les efforts de l’institution scolaire qui vise l’égalité des chances», relève Eva Nada, docteure en sociologie et adjointe scientifique à la Haute École de travail social (HETS) de Genève. «Lors de l’enquête que j’ai menée pour ma thèse de doctorat soutenue en 2020, j’ai eu l’occasion de rencontrer des jeunes en semestre de motivation (SeMo), une mesure d’insertion en formation professionnelle liée à l’Assurance chômage (LACI). J’ai pu constater que venir d’un milieu plutôt pauvre peut être vraiment stigmatisant.» La sociologue a pu identifier plusieurs freins – l’origine, la scolarité, le genre, la concurrence, les représentations sociales – qui empêchent des jeunes issus de familles très modestes d’entrer dans une formation. Ainsi, selon son enquête, les jeunes hommes blancs autochtones issus de milieux populaires sont souvent proposés pour des apprentissages plus qualifiants et les jeunes femmes issues de l’immigration et racisées sont plutôt dirigées vers des apprentissages et des emplois les moins qualifiants et les plus précaires.

Pouvoir sortir du sillon de la précarité

«J’ai rencontré une jeune fille dont le père d’origine kosovare était à l’AI après avoir travaillé dans le bâtiment, et la mère et la sœur étaient aides-soignantes. Elle ne voulait surtout pas suivre la même voie, jugeant ce travail dur et mal rémunéré. Elle avait de l’ambition, voulait absolument devenir réceptionniste titulaire d’un CFC d’employée de commerce, mais elle a dû se battre becs et ongles, en passant par le SeMo, pour enfin obtenir une place d’apprentissage.»

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En apprentissage à La Recyclerie de Caritas Genève à Plan-Les-Ouates, Abdirahman, 23 ans, AFP en logistique apprécie beaucoup l’encadrement et le soutien dont il bénéficient.

Par ailleurs, selon l’OFS, en 2022, en Suisse: 6,8% des jeunes âgés de 18 à 24 ans se retrouvent en dehors du système de formation sans disposer de titre du degré secondaire. Il n’y a pratiquement pas de différences entre les sexes. Pour les jeunes étrangers, cette proportion est de 15,4% et est nettement supérieure à celle des jeunes suisses (4,3%). Les jeunes qui n’ont pas de formation post-obligatoire (formation générale ou professionnelle) sont plus souvent confronté·es à des emplois précaires et au chômage. La pauvreté touche néanmoins aussi les étudiant·es des hautes écoles suisses dont 68% doivent exercer une activité rémunérée à mi-temps pour s’en sortir.

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Tout comme Allisson, 24 ans, qui fait un CFC de créatrice de vêtements, aussi à La Recyclerie de Caritas.

Notre société a souvent une vision négative des jeunes qui ne suivent pas un cursus linéaire et sont confronté·es plus que d’autres aux aléas de la vie. Depuis le Covid qui a montré que l’on pouvait travailler autrement, certain·es jeunes rêvent aujourd’hui d’indépendance. En Suisse, ils et elles seraient quelque 30%.

Pour Eva Nada, il faudrait changer les regards en profondeur et accorder de la valeur aux personnes sans forcément passer par la case travail, notamment pour les personnes en situation de précarité. «Je pense qu’on ne leur accorde pas assez de crédit. Ces jeunes sont souvent très motivé·es et ne se laissent pas assommer par les difficultés, car elles et ils ont appris à se battre depuis qu’ils sont tout petits. Je suis admirative de leur grande capacité de résilience.» *

*Sources:
Office fédéral de la statistique (OFS) et Caritas Suisse
Eva Nada. La mise au travail d’une jeunesse populaire. Ethnographie multisituée du dispositif de transition dans un contexte urbain de Suisse romande. Thèse en sociologie présentée à l’Université de Neuchâtel, 2020.