Estelle Revaz: «Les paillettes de la scène occultent parfois des coulisses plus sombres»
10 avril 2025 | Lecture 4 min.

Une meilleure protection sociale pour les artistes et une stratégie de lutte contre la pauvreté, la violoncelliste genevoise joue sa partition politique en virtuose.
«J’avais 3 ans quand j’ai vu des personnes sans abri pour la première fois lors d’un voyage à Paris. Mes parents ont remarqué que cela m’avait beaucoup perturbée. Alors chaque fois que l’on y retournait, je pouvais donner deux sandwichs à deux personnes sans abri. Ce rituel a perduré jusqu’à ce que nous y emménagions.
J’ai alors côtoyé la pauvreté extrême avec des gens qui logeaient dans des tentes installées sur le trottoir près de chez nous. Je me souviens de conversations que j’ai eues avec des personnes qui ne comprenaient pas comment elles en étaient arrivées là. Un matin de Nouvel An, j’ai débarqué avec du café et des croissants et j’ai lu dans leurs yeux combien ce moment si simple était une part de la vie à laquelle ils et elles n’avaient plus accès.
Plus tard, je suis devenue violoncelliste et je me suis réinstallée en Suisse. Lors du Covid, j’ai vu des collègues artistes qui, en quelques mois sans revenu, sans indemnisation, devaient quitter leur logement, faire la queue pour de petits colis alimentaires, mendier de l’aide à leurs proches.
Dans le milieu culturel, le revenu moyen est en dessous du seuil de pauvreté.
Il faut savoir que dans le milieu culturel, le revenu moyen est de 3333 fr., en dessous du seuil de pauvreté. C’est cette pauvreté cachée des gens qui travaillent dans un secteur où quoi qu’il se passe dans votre vie, il ne faut rien laisser paraître. Ce sont les paillettes de la scène qui occultent des coulisses beaucoup plus sombres. Une précarité qui ne se voit pas, mais qui existe bel et bien. À cette époque, je me suis battue pour que nous, artistes, ayons droit à un dédommagement.
Quand je suis devenue conseillère nationale, j’ai voulu continuer ce combat. J’ai proposé d’inscrire la protection sociale des acteurs et actrices culturelles dans le programme de législature, ce qui a été accepté par les deux Chambres du Parlement. J’ai aussi déposé une motion demandant au Conseil fédéral de prolonger la plateforme nationale de lutte contre la pauvreté et d’adopter une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Cette motion a été adoptée au Conseil national et au Conseil des États.
Mon secret est de me concentrer sur les thèmes qui me tiennent vraiment à cœur.
Le Conseil fédéral a suivi en reprenant tous les points de ma motion. Je suis très heureuse de ces victoires. Mon secret est de me concentrer sur les thèmes qui me tiennent vraiment à cœur. Avant de commencer à me battre, je m’assure que je suis complètement alignée, que je suis convaincue jusqu’au bout de mes cellules. Ensuite, je prends mon bâton de pèlerin et je vais en parler avec le plus de monde possible pour essayer de les convaincre en étant à l’écoute de leurs arguments. En tant que musicienne, j’ai appris à jouer en écoutant les autres, à m’adapter à l’autre tout en gardant mon intégrité et ma personnalité.»
BIO EXPRESS
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Naissance à Salvan (VS) le 12 juillet.
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Départ à Paris avec toute sa famille. Restée seule à Paris en 2004, elle étudie le violoncelle au Conservatoire national de région de Boulogne-Billancourt, où elle décroche le 1er prix.
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Réussit son bac scientifique avec mention et entre au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP).
Un an plus tard, elle rencontre la violoncelliste allemande Maria Kliegel, devenue son mentor. -
Elle entame une carrière de violoncelliste soliste demandée dans toute l’Europe et au-delà.
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Elle joue désormais avec «Louis XIV», un bijou qui a émis ses premières notes sous le règne du Roi-Soleil.
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Elle monte au créneau politique pour défendre et soutenir les acteurs et actrices culturelles touché-es par la crise du Covid. Avec une coalition parlementaire transpartisane, elle peut faire changer la loi.
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En décembre, elle entre au Parlement fédéral en tant que conseillère nationale socialiste.
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En juin, elle fait inscrire la protection sociale des acteurs et actrices culturelles dans le programme de législature.
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Sa motion pour maintenir la plateforme nationale contre la pauvreté et pour l’instauration d’une stratégie de lutte contre la pauvreté est adoptée.

Cet article est paru dans le «Caritas.mag». Le magazine des organisations Caritas régionales paraît deux fois par an.
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