Petits Budgets
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Le coût de la vie s'envole, mais les revenus stagnent. Dans ce contexte, tenir la tête hors de l'eau devient difficile. Les prestations de Caritas sont des bouées de secours.

«Heureusement qu'il y a l'épicerie de Caritas», relève Isabelle, quadragénaire rencontrée à Fribourg. Cette infirmière de formation, veuve et mère de trois enfants, se relève doucement d'une grosse casse psychique. Elle recommence à accueillir ses enfants dans son tout petit appartement dénué de confort et lutte pour leur offrir un minimum de bien-être. «Je viens ici car je peux leur acheter quelques douceurs en serrant mon budget au maximum.»

Depuis l’été dernier, les Épiceries Caritas constatent une forte hausse du nombre de personnes qui ne peuvent plus se permettre de faire leurs courses dans les supermarchés ordinaires. Par comparaison avec 2021, le nombre de passages en caisse a augmenté de près de 30%. «Je suis réfugiée. J'étais enseignante en Turquie. J'ai recommencé un cursus d'études à la Haute école de travail social de Fribourg. J'ai envie d'être autonome le plus vite possible», raconte Sévola. Âgée de 32 ans, elle avoue que sa vie sociale est vraiment réduite. Elle regrette de ne jamais pouvoir sortir manger au restaurant avec ses amis et, à défaut, de pouvoir les recevoir. «Tout a tellement augmenté, notamment les fruits et légumes frais (+12%), l'huile d'olive (+17,5%) et les pâtes (+14,4).» Malgré des études rendues plus complexes en raison de la barrière de la langue, Sévola fait régulièrement le tour de toutes les enseignes qui proposent des prix réduits. «Avec mon compagnon, lui aussi réfugié, on essaie de trouver les meilleurs prix, mais ça nous prend beaucoup de temps!»

Heureusement qu'il y a l'épicerie de Caritas»
Isabelle, quadragénaire de Fribourg

Comparez à tout prix!

Pour Stefan Meierhans, Surveillant des prix de la Confédération, les hausses de prix injustifiées sont inadmissibles de la part des fabricants et des distributeurs ; en revanche, la responsabilité de la consommatrice et du consommateur tient effectivement dans cette course aux petits prix. «Comparez, comparez, comparez, comparez! C'est ce que je dis depuis toujours. Ainsi, même si, par exemple, le prix de l’assurance-maladie obligatoire a beaucoup augmenté cette année, le fait qu’il puisse être comparé a généré de nouveaux choix chez les assurés qui leur ont été profitables. Si les consommatrices et consommateurs assument cette responsabilité de comparaison, les prestataires ne peuvent qu'être poussés à le faire eux aussi, et cette fois-ci à la baisse.»

En attendant le déclic éthique des grands distributeurs, une nouvelle clientèle s'ajoute à toutes les personnes en situation de pauvreté tributaires de produits à prix réduit qui s’approvisionnaient déjà auparavant dans les Épiceries Caritas.

«Nos magasins attirent nettement plus de réfugiés, de working poor et de personnes âgées qu’avant»

note Thomas Künzler, directeur de la Coopérative des Épiceries Caritas. Sont considérées comme working poor, les personnes dont le revenu ne dépasse pas le minimum vital, en dépit du fait qu’elles exercent une activité professionnelle.

C'est notamment le cas de Siméon, 28 ans, qui travaille à temps partiel dans le domaine social. «Je suis en colocation et j'occupe la plus petite chambre. Depuis quelque temps, mon budget mensuel est passé à 2200 fr environ en raison de l'augmentation des charges de notre appartement et de mon assurance-maladie, mais je gagne moins de 2000 fr. Je suis donc toujours en déficit. J'aimerais augmenter mon temps de travail, mais pour l'instant, pour pouvoir me nourrir, j'essaie de trouver des produits périmés que jettent les grands magasins et je viens à l'Épicerie de Caritas.»

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«Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière.»

Abbé Pierre

De nouveaux clients parmi les plus pauvres

Les personnes qui deviennent de plus en plus pauvres en raison de l'inflation comme Siméon ont la possibilité d’acheter des denrées alimentaires et des produits d’usage courant à des prix très réduits dans l'une des vingt-deux Épiceries Caritas, dont dix en Suisse romande et à Bienne, selon des conditions d'admission à découvrir dans l'encadré ci-joint. En 2022, des centaines de clients ont effectué 1,06 million d’achats, soit 33 % de plus que l’année précédente. Le chiffre d’affaires a augmenté de 22 %. Révélateur d'une détresse financière qui s'amplifie. Thomas Künzler évoque d'ailleurs un «triste record»:

«Les Épiceries Caritas n’ont pas pour but d’accroître leur chiffre d’affaires, elles répondent à une demande en hausse, mais chaque franc supplémentaire aide à offrir des produits à un prix encore plus avantageux.»

Seule bonne nouvelle dans ce marasme, la production locale reste malgré tout plus avantageuse tout en étant moins polluante puisque les produits indigènes n'ont relevé leur marge que de 2,9% contre 4,9% pour les produits importés.

La peur de ne pas boucler les fins de mois

Même si, en Suisse, l'inflation annuelle de 3,4% est la plus basse d'Europe en comparaison de la France avec 6,8% ou de l'Allemagne avec 8,5%, la paupérisation des familles de classe moyenne se profile alors que la précarisation des personnes en situation de pauvreté et celle des personnes à la retraite et des étudiant·e·s s'aggrave fortement avec l'augmentation des primes d'assurance-maladie (6.6%), celle des loyers (environ 20%) et des biens de consommation essentiels (de 10 à 23 %). À Neuchâtel, la Fédération des étudiants a lancé un appel aux dons pour soutenir des étudiant·e·s tellement précarisé·e·s qu'elles ou ils ne peuvent pas acheter les livres nécessaires à leurs études, doivent sauter des repas ou renoncer à se faire soigner par crainte de ne pas parvenir à boucler leurs fins de mois*. Quant à l'organisation Pro Senectute, elle affirme qu'une personne sur huit à l’âge de la retraite peut être déjà actuellement considérée comme pauvre.

Selon elle, près de 300 000 personnes de plus de 65 ans vivent actuellement au seuil de la pauvreté en Suisse. Parmi elles , 46 000 sont même plongées dans une situation de grande précarité. Le renchérissement fait grimper les dépenses courantes et les charges liées au logement. Après déductions des frais fixes mensuels, il leur reste tout juste 20 fr. par jour pour la nourriture, les articles d'hygiène, les vêtements, l'essence, les transports publics et les loisirs.

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(c) Sedrik Nemeth

Début mars 2023, le Parlement suisse a pourtant refusé de justesse - 1 voix! - une indexation des rentes AVS de 7 francs de plus par mois pour la plus petite rente, à 14 francs pour la plus haute au motif que cela aurait coûté 418 millions de francs. Quinze jours plus tard, la Confédération acceptait de prêter des milliards de francs pour le rachat d'une banque par une autre banque... «Quand on demande la pleine indexation des rentes AVS, garantie par la Constitution, il faut faire une loi spéciale, qui est ensuite refusée par la droite, alors qu'on peut agir très vite quand il s'agit des intérêts des banques. Cela doit changer dans les mois qui viennent, autrement, la population va avoir de la peine à comprendre», prévient d'ailleurs Pierre-Yves Maillard, président de l'USS (Union Syndicale Suisse) et également conseiller national (VD/PS).

Informer pour résister

Michel Fehr, allègre retraité vaudois de 70 ans, est révolté. «Ce qui m'exaspère le plus, c'est que la situation des seniors se péjore lentement, notamment par manque de connaissances sur les aides disponibles quand on se retrouve à l'AVS. Par exemple, lorsqu'on a été licencié ou lorsque l'on ne retrouve plus de travail en raison de son âge, la rente-pont devrait être disponible très facilement, mais c'est tellement compliqué pour l'obtenir que les gens renoncent.» Son rêve? créer un fascicule expliquant aux retraité·e·s les manières d'obtenir des aides diverses et qui serait distribué dans toutes les boîtes aux lettres des personnes touchant l'AVS. Il s'insurge:

«En fait, tout augmente, sauf les rentes!»

En Suisse romande, le réseau Caritas peut pallier certains manques en proposant notamment, outre des produits à prix réduit dans ses Épiceries, des aides à la gestion de budget ou au désendettement, des vêtements de seconde main à petit prix, une CarteCulture pour profiter d’offres culturelles, sportives ou de loisirs à un tarif préférentiel, ou l'aide d'un service social pour effectuer des démarches administratives. Et si un tsunami est en approche comme l'indique notre édito, les Caritas romandes sont prêtes à soutenir celles et ceux qui risquent le naufrage.

* Source Arcinfo

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(c) Sedrik Nemeth

Qui peut faire ses courses dans les Épiceries Caritas ?

Les détenteurs et détentrices d’une carte délivrée par les services sociaux publics, par les institutions sociales ecclésiastiques et privées ou par les Caritas Régionales sont habilités à faire leurs courses dans une Épicerie Caritas. L’offre s’adresse aux personnes financièrement défavorisées :

dont le revenu est inférieur ou égal au minimum vital

qui perçoivent l’aide sociale ou des prestations complémentaires

qui sont en train d’assainir leurs dettes

Il n’y a pas de distribution gratuite de denrées alimentaires. La carte est personnelle et doit être renouvelée chaque année. En Suisse romande, les Épiceries Caritas sont implantées à Bienne, Fribourg - bientôt à Bulle - Genève (2), La Chaux-de-Fonds, Lausanne, Neuchâtel, Renens, Vevey et Yverdon.

En Suisse romande, ce sont les subsides à l'assurance maladie et la CarteCulture qui, en général, font foi.