Aide et conseil

En Suisse, près de la moitié des personnes à faible revenu n'ont pas les compétences nécessaires ou pas d'ordinateur pour surfer sur internet. Il devient urgent d'agir pour soutenir leur participation numérique à la société.

"Sans ordinateur, je ne suis plus rien!" À 55 ans, Valérie est une véritable "geekette" comme elle le dit elle-même. Curieuse de tout, elle utilise internet pour chercher et répondre à des offres d'emploi, trouver toutes sortes d'informations sur différents sujets, et même tenir un blog avec ses œuvres picturales depuis quelques années. Elle joue aussi aux Sims, un jeu vidéo de simulation de vie. "Je vis par procuration. Mes personnages ont tous de belles maisons, de beaux meubles et un super boulot!" Elle rigole en le disant, mais cette bénéficiaire du RI (Revenu minimum d'insertion) vit du minimum vital depuis plusieurs années, se débrouillant comme elle peut pour rester optimiste. "Je ne baisse pas les bras, même si j'ai peu de chances à mon âge de retrouver du travail et ce d'autant plus que j'ai des problèmes de santé physiques et psychiques. Je n'avais plus d'ordinateur depuis un moment. J'ai pu aller en chercher un chez Caritas Vaud grâce à un bon. J'ai obtenu un ordinateur dernier cri que je branche sur ma télévision. Je suis ravie."

"Sans ordinateur, je ne suis plus rien!"

Développer des outils online

À l'atelier informatique de Caritas Vaud, Alexandre Gachet, qui en est le responsable, est conscient de l'importance de proposer du matériel aussi moderne que possible. "95% des ordinateurs à recycler viennent des services publics du Canton de Vaud. Il y a principalement des ordinateurs fixes. Cette année nous en avons livré plus que d'habitude en raison du confinement. Plus de 850 PC, avec clavier, souris, câble et écran ont été donnés."Cet ancien bûcheron, devenu informaticien en autodidacte par passion, et qui a lui aussi passé par la case réinsertion, comprend bien les besoins des bénéficiaires de l'aide sociale. "Rien n'est jamais fini. Si une porte se ferme, une fenêtre s'ouvre. Je souhaiterais développer des outils online pour aider les personnes à mieux utiliser leurs machines."

Selon lui, en recevant un ordinateur, certains fondent en larmes, submergés par l'émotion, d'autres manifestent leur reconnaissance avec pudeur. C'est le cas de Jean-Claude qui a envoyé un mot de remerciement à Caritas Vaud. Âgé de 68 ans, ce biochimiste spécialisé dans les biotechnologies et ancien homme d'affaires a beaucoup travaillé aux États-Unis. Après de sérieux déboires, il a dû revenir en Suisse, son pays d'origine, et se trouve actuellement dans une situation difficile, dénué de tout. Pour se reconstruire, créer de nouvelles opportunités, et rester en lien avec son fils de 13 ans et sa femme restés aux États-Unis, il a eu besoin d'un bon ordinateur. "Le pire est d'être homeless comme je l'ai été aux USA en dormant deux ou trois nuits dehors. Ici, j'ai un toit, mais je suis très indépendant et j'aurais préféré m'en sortir seul. Cependant, cet ordinateur va pouvoir m'aider à améliorer ma situation. Je vais le garder précieusement."

«La fracture numérique est plus profonde que la fracture sociale. »

Tahar Houhou

Informaticien, Blogueur, Enseignant

Participation numérique avec Caritas Suisse et Sunrise UPC

Selon Caritas Suisse, toutes les personnes devraient avoir les mêmes possibilités de participer au monde numérique, notamment les plus précarisées. Avec le soutien financier de Sunrise UPC qui offre 250 000 fr., l'organisation nationale veut contribuer à combler le fossé de la fracture numérique. Après un appel à projets auprès des Caritas régionales, Caritas Suisse peut désormais soutenir huit idées d'appui numérique en Suisse alémanique (Berne, Lucerne, Argovie, Grisons, Soleure) et en Suisse romande dans les cantons de Vaud, Jura et Neuchâtel.

Pour Jean-Noël Maillard, directeur de Caritas Jura, la pandémie et l'utilité du numérique pour différentes activités pendant le semi-confinement ont confirmé la pertinence de s'intéresser à la question de la fracture numérique. "Nous constatons qu’un nombre croissant de prestations ne sont désormais accessibles que de manière numérique, ce qui empêche un certain nombre de personnes à y avoir accès. Par ailleurs, les personnes contraintes de recevoir des factures en format courrier papier sont systématiquement pénalisées, car ces prestations deviennent payantes, alors qu’elles sont gratuites sous format numérique", rappelle-t-il tout en soulignant l'importance de l'inclusion à tous les niveaux. "Les personnes précarisées ou peu habiles avec les nouveaux dispositifs numériques peuvent légitimement se sentir pénalisées ou exclues. Le risque d’une fracture est bel et bien réel. Nous ne pouvons contrer cette évolution technologique, mais il faut impérativement veiller à mettre en place des mesures pour permettre à ces personnes de ne pas être définitivement « larguées » et en payer le prix fort." Dans ce but, Caritas Jura va ouvrir des cafés numériques où se débattront des thématiques diverses évoluant vers des expérimentations selon les demandes exprimées sur le moment.

story-pascal-relange-atelier-informatique-caritas-vaud
Pascal Relange, responsable de latelier informatique de Caritas Vaud, des projets numériques pour pratiquer plus facilement.

Le portable comme outil d'intégration

Utiliser son portable comme un outil d'intégration, tel est le but des ateliers APPliqués mis en place depuis deux ans à Caritas Neuchâtel. "L’objectif des ateliers APPliqués est d’accompagner les réfugiés dans leur intégration sociale par la maîtrise de leur téléphone portable et l’utilisation des applications utiles dans leur vie quotidienne", explique Sébastien Winkler, chargé de communication de Caritas Neuchâtel. "Le second objectif de ces ateliers est de rendre les participants à la fois plus autonomes et mieux organisés, notamment au niveau de la gestion de leur temps et de leurs rendez-vous. Après plus de deux ans d’existence, l’utilité des ateliers APPliqués ne fait plus aucun doute."

À Caritas Vaud, outre l’atelier d'insertion sociale recyclant des ordinateurs, on veut aller encore plus loin. "Avec son atelier informatique et le système du bon RI, Caritas Vaud équipe gratuitement des familles en situation de pauvreté. En lançant son projet de Mentorat informatique, elle souhaite faire appel à des bénévoles pour accompagner les bénéficiaires du bon RI dans la maîtrise du numérique et des multiples services en ligne nécessaires à la gestion de notre quotidien. Nous nous réjouissons de pouvoir lancer ce projet avec le soutien de Caritas Suisse et de Sunrise", informe Pierre-Alain Praz, directeur de Caritas Vaud.

Cafés numériques à Caritas Jura: Les cafés sont ouverts à tous ceux qui n'ont pas ou peu de compétences numériques de base. Il y aura un sujet par café, tel que l'application CFF, la rédaction de demandes d'emploi, etc. L'objectif serait que les participants eux-mêmes contribuent à l'organisation des cafés et transmettent ainsi ce qu'ils ont appris.

AtelierAppliqué à Caritas Neuchâtel: L'objectif principal de ce projet est de soutenir les réfugiés dans leur intégration sociale en maîtrisant leur téléphone portable et en utilisant des applications utiles dans la vie quotidienne. Le projet vise à soutenir les participants dans leur indépendance, leur organisation, leur mise en réseau et leur intégration dans la société suisse.

Mentorat Informatique à Caritas Vaud: L’objectif du projet est de permettre aux personnes n’ayant pas de compétences informatiques de pouvoir bénéficier d’un accompagnement personnalisé avec un bénévole pour acquérir les bases pratiques de l'informatique, permettant ainsi de gagner en autonomie dans les diverses démarches de l’administration en ligne.

À Caritas Fribourg et Caritas Genève, on ne reste pas inactifs face à la fracture numérique à travers la rencontre et le conseil sur demande.

Mathias-Reynard-Copyright-Sabine-Papilloud-Le-Nouvelliste-3
Mathias Reynard, un Conseiller dÉtat engagé pour lutter contre les fractures sociale et numérique.

Les trois dimensions de la fracture numérique

Selon l'expert en communication visuelle et d’éducation aux médias, Jean-Claude Domenjoz, on peut schématiser les disparités d’utilisation des TIC (Technologies de l'information et de la communication) à trois dimensions:

  1. L’accès aux moyens techniques, qui suppose de disposer d’un appareil qui ne soit pas obsolète (ordinateur, tablette, smartphone), d’une connexion à l’internet et de logiciels à jour pour pouvoir bénéficier des fonctionnalités nécessaires.
  2. La diversité et l’intensité des usages, en particulier ceux qui ont des finalités pratiques et professionnelles – par opposition aux usages récréatifs.
  3. Les compétences pour utiliser efficacement les outils et les services, lesquelles s’appuient sur des savoirs et des savoir-faire.

C'est ce dernier point qui préoccupait avant tout Mathias Reynard, tout nouveau conseiller d'État valaisan, responsable de l'action sociale, lorsqu'il a déposé un postulat en tant que conseiller national en 2019 au sujet de la lutte contre l'illectronisme, concept qui transpose le concept d’illettrisme dans le domaine de l’informatique. Le texte du postulat précisait que: «Quand il s’agit d’une utilisation des outils numériques à visée éducative, les inégalités sociales se creusent.» Le postulat a été rejeté par le Conseil fédéral sous prétexte qu'une étude récente (James. 2018, ZHAW) n'avait pas relevé de différence significative entre les couches sociales dans l'usage des médias pour les activités de loisirs.

"C'est une urgence sous-estimée", regrette-t-il. "L’illettrisme numérique est un risque pour l’égalité des chances. J'étais encore enseignant pendant la pandémie et j'ai pu moi-même le constater. Certains élèves ne savaient pas comment envoyer un mail ou créer un document, l'enregistrer, puis le joindre au mail. Beaucoup n'avaient utilisé leur adresse mail que pour créer un compte sur un réseau social." Selon ce fervent défenseur de l'éducation pour tous, les solutions pour contrer les inégalités numériques existent. " Il y a un potentiel énorme pour l'enseignement comme les visioconférences ou le travail individualisé en fonction des rythmes d'apprentissage des élèves, mais il faut former les enseignants et avoir du matériel informatique de bonne qualité. J'ai vu des enfants travailler depuis leur smartphone ou qui avaient des connexions internet instables. Il faut donc agir sur plusieurs plans pour combler la fracture numérique, en amont."

Bildschirmfoto-2023-03-27-um-15.43.21