Le renchérissement dans la mire de Monsieur Prix
Suisse romande | 7 juin 2023 | Lecture 6 min.
Stefan Meierhans, le Surveillant des prix en Suisse, voit le poids de l'inflation agir sur les personnes les plus précaires comme une bombe à retardement.
Les plaintes déposées auprès de Monsieur Prix ont explosé l'année dernière. Les consommateurs souffrent. Un bon nombre d'entre eux s'enfoncent dans la précarité, alors que d'autres frôlent la pauvreté. Pour Stefan Meierhans, beaucoup de choses qui devraient être réformées ne le sont pas. Il faut donc motiver les politiques à agir.
Assurance-maladie, loyer, nourriture et charges, tout a augmenté et l'électricité coûtera encore plus cher l’année prochaine. Swissgrid (exploitant du réseau électrique suisse) a annoncé un doublement des tarifs du réseau de transport pour les consommateurs et les entreprises en 2024. Ainsi, sur cette seule composante de la facture d’électricité, un ménage moyen se verra facturer 146 francs par an contre 70 francs actuellement. Monsieur Prix a donc adapté ses priorités au début de l'année 2022 et a placé la surveillance des prix de l'énergie au centre de son travail.
Dans cette période d'inflation et d'augmentation générale des prix, comment votre rôle évolue-t-il ?
Sur le mandat de fond, c'est-à-dire la surveillance des prix, rien ne change, mais je constate que le nombre de plaintes a plus que doublé en 2022 (+ 60%). Chaque citoyenne ou citoyen qui s'adresse à moi a droit à une réponse. Les points de gravité ont changé en raison des conséquences de la guerre en Ukraine et de l'inflation. L'énergie - électricité, gaz, essence, mazout - est devenue un point central.
Vous êtes un observateur très pointu de la situation économique, comment voyez-vous l'avenir ?
Nous ne sommes pas sortis de la crise, mais il faut pondérer un peu l'appréciation de la situation en fonction des pays voisins. Je sais que cela ne paie aucune facture et que ça ne règle aucun achat dans une épicerie, mais quand on compare avec la France, l'Allemagne ou l'Italie, on constate que la situation y est encore bien pire que la nôtre. En Suisse, le partenariat social entre employeurs et employés a assez bien fonctionné. Des indexations de salaire ont eu lieu en fonction de l'inflation. Malheureusement, cela concerne uniquement les gens qui ont une situation déjà « confortable » et pour qui l'augmentation peut partiellement compenser le renchérissement. Pour les personnes précaires, la situation est très difficile et va rester difficile pour un certain temps. Si le litre de lait augmente de 20 centimes, un nanti ne s'en aperçoit même pas. Pour quelqu'un qui gagne environ 4500 francs par mois, cela a un vrai impact sur le budget familial. Pour une famille qui doit vivre avec un budget en dessous de cette somme, cela a un effet énorme.
Je crois que les effets de la crise ressemblent à une bombe à retardement
Pensez-vous que cette crise va perdurer ?
Je crois que les effets de la crise ressemblent à une bombe à retardement : Depuis fin mars, outre la hausse de l'assurance-maladie, avec les coûts annexes au loyer (électricité, chauffage), le poids sur le budget pèse davantage. Bientôt, les économies seront épuisées.
Et que pouvez faire pour freiner ces effets ?
J'ai fait une recommandation formelle concernant la facture d'électricité. Il y a des possibilités à très court terme d'atténuer la situation. Une facture d'électricité se décompose en 3: 1/3 pour l'énergie, 1/3 pour le réseau qui la transporte chez vous et 1/3 pour les taxes et les émoluments des cantons, communes et de la Confédération. On peut agir sur les prix du réseau et sur les émoluments. Les cantons, communes et la Confédération pourraient les baisser, et même y renoncer pour soulager la population. La ville de Winterthour, 6e ville de Suisse, a décidé de renoncer à ses taxes en suivant ma recommandation.
Quel autre levier pouvez-vous actionner?
Pour le service public - comme la Poste et les transports publics - j'ai clairement fait savoir que j'attendais de la retenue en matière de prix. Dans ces domaines, il y a de grandes tentations d'augmenter les prix, notamment en raison du renchérissement. En 2021, j'avais conclu avec la Poste un règlement amiable qui fixait des limites de prix pour la plupart des catégories de produits. Ces dispositions sont également en vigueur en 2022 et 2023, de sorte que des augmentations de prix ne sont pas possibles ici. Pour les catégories de produits qui ne sont pas couvertes par ce règlement amiable, la Poste voulait augmenter les prix à partir de janvier 2023. Lors des négociations, j'ai pu obtenir que la Poste y renonce. Malheureusement, la joie a été de courte durée, car une nouvelle demande de la Poste m'est déjà parvenue. La branche des transports publics a également annoncé vouloir augmenter ses prix. J'ai aiguisé mes crayons et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que les clients ne soient pas obligés de payer plus que ce qui est absolument nécessaire.
Je lance ici un appel à toute la grande distribution : il faut soutenir les actions comme celles de Caritas
Concernant la nourriture et les produits de première nécessité, les grands distributeurs semblent avoir augmenté leurs prix plus qu’il n’était nécessaire, qu'en pensez-vous ?
Lors de mes discussions avec les dirigeants et les fournisseurs de la grande distribution, je les ai mis face à leurs responsabilités, notamment par rapport aux personnes à petit budget. Je me sens un peu le porte-parole de ces personnes démunies. Soutenir les Épiceries de Caritas en diminuant les prix d'achat fait partie de leur responsabilité civique et civile. Je lance ici un appel à toute la grande distribution : il faut soutenir les actions comme celles de Caritas, suivant en cela le préambule de notre Constitution qui affirme que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres
Comment faire contenir le budget des consommatrices et consommateurs?
Un autre poste très important me préoccupe également : les primes d'assurance maladie élevées. Dans ce domaine, je suis très présent et je recommande de mettre en œuvre des mesures qui permettent de réaliser des économies parfois importantes sans que la qualité des soins n'en pâtisse. L'année dernière, environ 200 millions de francs ont pu être économisés au profit de l'assurance de base obligatoire grâce à des baisses des tarifs de laboratoire et du dosage de la vitamine D3. En 2021, mes recommandations ont permis d'économiser un montant à trois chiffres en millions. C'est important, mais la vérité est que la croissance des coûts et donc des primes se poursuit. Il est urgent de trouver des solutions systémiques.