Travail

Avec leur projet innovant et un logiciel inédit, les Caritas de Suisse romande aimeraient inciter les employeurs et employeuses à recruter autrement pour en finir avec le chômage de très longue durée.

Entre 2020 et 2023, sous l’impulsion des Caritas de Suisse romande (Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Vaud, Valais), un projet innovant soutenu par Innosuisse a été mené en Suisse occidentale pour lutter contre le chômage de très longue durée. Il a donné naissance à un outil nommé Compétences.Match qui va permettre des rencontres inattendues, voire inespérées, entre demandeuses et demandeurs d’emploi de très longue durée et employeuses et employeurs. Des «matching» propulsés grâce à un logiciel inédit.

Un outil pour l'inclusion

«Ce projet a été construit scientifiquement pour maximiser l’inclusion de divers profils professionnels dans le processus d’appariement optimal entre l’offre et la demande d’emploi. Pour ce faire, nous avons adopté une approche centrée sur l’activité, qui permet de décrire des compétences au niveau le plus fondamental», expose Stéphane Rullac, professeur en innovation sociale au Laboratoire de recherche santé-social (LaReSS) de la Haute École de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) HES-SO. Avec ses collègues Nathalie Gey et Pascal Maeder, ils ont imaginé le système d’information (logiciel) permettant de créer des correspondances (matching) entre futur-es employé-es et employeurs-euses.

«Le projet mise sur la capacité à identifier des passerelles entre des compétences, ouvrant ainsi la voie à des postes auxquels les entreprises recruteuses ne penseraient pas spontanément en lisant un CV»

Selon la chercheuse et les chercheurs, malgré un faible taux de chômage global, le problème du chômage de longue durée persiste en Suisse, en particulier pour les personnes marginalisées. Les organisations Caritas régionales se sont donc mobilisées pour créer l’association Cantons zéro chômeur de très longue durée et ont collaboré avec deux Hautes Écoles spécialisées de Suisse occidentale (Lausanne et ARC) pour développer un projet alliant travail social et intelligence artificielle.

«Le projet mise sur la capacité à identifier des passerelles entre des compétences, ouvrant ainsi la voie à des postes auxquels les entreprises recruteuses ne penseraient pas spontanément en lisant un CV», souligne Stéphane Rullac qui clarifie ainsi la méthode. «Nous avons choisi de nous éloigner des références normatives traditionnelles, comme les compétences, pour plutôt construire les parcours de recrutement sur les activités maîtrisées et à maîtriser dans le cadre du processus de mise en lien entre l’offre et la demande. L’utopie ici est triple: dépasser les frontières normatives d’un bon profil, valoriser ce que les personnes savent faire, et aider les employeurs et employeuses à mieux caractériser leurs besoins pour un poste précis. Cette approche incarne une science utile, engagée et orientée vers la démocratisation, ce qui est précisément ce qui définit l’innovation sociale.»

 

La triple utopie du projet:

Dépasser les frontières normatives d’un bon profil

Valoriser ce que les personnes savent faire

Aider les employeurs et employeuses à mieux caractériser leurs besoins

Ce projet de recrutement novateur se caractérise par une approche pluridisciplinaire entre le travail social et l’informatique. Il s’inscrit dans une théorie générale de l’innovation sociale, qui vise à établir une connexion entre l’humain stigmatisé et la machine intelligente. Cela permet d’aller au-delà des apparences sociales et des aspérités d’un parcours de vie.

Une approche expérientielle

«Nous avons cherché à dépasser les approches explicites, c’est-à-dire celles qui se contentent de reconnaître les compétences visibles d’un candidat ou d’une candidate aux yeux du recruteur ou de l’accompagnateur. Prenons un exemple: une coiffeuse développe une allergie aux produits capillaires ou même aux cheveux. Si l’on s’en tient uniquement aux compétences explicites, liées à la coiffure, les perspectives de reconversion semblent limitées. Nous avons donc créé 22 catégories d’activités explicites capables d’englober toutes les compétences existantes. Dans ce cas précis, la coiffure pourrait correspondre à l’activité implicite suivante: 'Manipuler des petits outils selon une technique'. Cette activité peut alors ouvrir des opportunités dans d’autres domaines manuels, comme l’horlogerie, par exemple.»

«Il faut avant tout considérer la personne dans sa globalité, instaurer une relation de confiance, et l’amener à aller plus loin que ce qu’elle pourrait faire seule.»

Pour Stéphane Rullac et ses collègues, il est essentiel de soutenir les candidats et candidates qui entrent dans le système Compétences.match. Leur équipe a planché sur le concept «d’agent inclusif» formé à l’approche du «profil expérientiel» utilisée pour la Validation des acquis de l’expérience (VAE).

«Il s’agit d’un travail d’accompagnement relevant du travail social et de l’insertion professionnelle, avec les difficultés inhérentes à tout accompagnement social. Il faut avant tout considérer la personne dans sa globalité, instaurer une relation de confiance, et l’amener à aller plus loin que ce qu’elle pourrait faire seule. C’est un métier à part entière.»

Selon lui, il est également crucial de maîtriser le système d’information (SI) pour renseigner les données et utiliser les algorithmes qui proposent l’appariement optimal entre l’off re et la demande d’emploi. C’est ici que la dimension scientifique du projet intervient: l’ingénierie informatique permet de mettre en relation les deux profils expérientiels, celui du demandeur ou de la demandeuse d’emploi et celui du poste à pourvoir. «Bien que je ne sois pas un expert en technologie, en tant que responsable scientifique du projet, j’ai travaillé avec les informaticiens pour créer des algorithmes adaptés au sens du projet. Cependant, c’est l’humain qui reste maître du processus. Le SI fonctionne comme un GPS qui assiste la conduite, mais l’agent inclusif garde le contrôle. Les désirs, contraintes et choix des demandeurs d’emploi et des employeurs restent maîtres, et sont simplement éclairés par les suggestions du SI, exprimées en pourcentage de compatibilité.» 

C'est faux!

En 2024, le taux de chômage en Suisse est l’un des plus bas d’Europe avec 2,3%. Publié par le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), ce chiff re ne prend en compte que les personnes inscrites auprès des offices régionaux de placement (ORP). Cela exclut potentiellement une partie de la population sans emploi qui n’est pas inscrite comme demandeur ou demandeuse d’emploi ou qui est sortie du chômage au bout de deux ans, ainsi les chômeurs et chômeuses de très longue durée ne sont pas pris en compte dans le calcul.

C'est vrai!

En 2024, le taux de chômage en Suisse est de 4,3% selon les calculs du BIT (Bureau international du travail). Il n’est donc pas le plus bas d’Europe, qui est de 2,9% en Pologne (2,6% à Malte). Le taux de chômage suisse avoisine celui de la Bulgarie, à 4,4%, ou de l’Irlande, à 4,5%. L’Allemagne a un taux nettement plus bas avec 3,1%. En revanche, la France en a presque le double avec un taux de chômage de 7,5%. Les chiffres officiels sur le chômage en Suisse peuvent donc donner une image partielle de la réalité.

Association Cantons zéro chômeur de très longue durée

L’association Cantons zéro chômeur de très longue durée a été créée par les six Caritas de Suisse romande avec comme but: l’emploi pour tous, c’est-à-dire l’égalité des chances dans l’accès à l’emploi. L’association prône un emploi pour chaque personne qui le demande, en particulier lorsqu’elle le demande depuis plus d’une année, voire plus de deux. Selon elle, seul le travail salarié – tant qu’un autre système n’aura pas été trouvé – offre actuellement la protection, les liens et la reconnaissance auxquels chaque être humain aspire.

 

zerochomeur.orgLe lien s'ouvre dans un nouvel onglet.

Cet article est paru dans le «Caritas.mag». Le magazine des organisations Caritas régionales paraît deux fois par an.

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