Aide et conseil

Avoir des dettes n’est plus une exception. En 2024, face à la hausse du coût de la vie en Suisse, contracter un ou des crédits semble être la panacée, jusqu’au plongeon. Caritas le constate au quotidien et aide les personnes concernées à s’en sortir.

Hausse de la prime d’assurance-maladie, du loyer, de l’électricité, de la nourriture, sans compter les frais de garde des enfants ou l’achat de vêtements; depuis deux ans en Suisse, la vie est devenue beaucoup plus difficile pour les personnes et familles vivant avec un petit ou moyen revenu. En 2023, les poursuites pour le non-paiement de factures ont augmenté d’environ 10%. Et en vingt ans, leur nombre a doublé.

Depuis deux ans en Suisse, la vie est devenue beaucoup plus difficile pour les personnes et familles vivant avec un petit ou moyen revenu.

«Il y a une tendance à la hausse du montant de l’endettement», explique Joëlle Renevey, assistante sociale, responsable du service de gestion de dettes et désendettement et membre du Comité de direction à Caritas Fribourg. Comme c’est le cas des autres Caritas de Suisse romande dans les cantons de Genève, Neuchâtel, Vaud et du Jura, l’aide au désendettement est une des prestations parmi les plus sollicitées de son organisation régionale.

Une progression alarmante

«Il y a vingt ans, le montant moyen des dettes des personnes qui venaient nous demander conseil oscillait entre 20’000 et 30’000 fr. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’il atteigne 85’000 fr. Ce qui complique notre travail, c’est qu’il y a aussi beaucoup plus de créanciers par situation. Ils sont également devenus plus durs à la négociation. On pouvait autrefois proposer la moitié de la dette pour solde de tout compte et un grand nombre de créanciers l’acceptaient. Maintenant, c’est de moins en moins le cas», note Joëlle Renevey.

Elle précise: «Les cartes de crédit sont problématiques quand elles deviennent le moyen de se nourrir. Quand on n’a plus d’argent pour faire ses courses, c’est pratique d’utiliser une carte de crédit, alors qu’on a des arrangements de paiement partout ailleurs avec son propriétaire, son dentiste, son assurance-maladie ou ses impôts. Tant qu’on n’est pas encore identifié comme mauvais payeur, on peut toujours prendre d’autres cartes de crédit jusqu’à des montants pour nous incompréhensibles.»

+10%

En 2023, les poursuites pour non-paiement de factures ont augmenté d’environ 10%

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Le montant moyen des dettes a quadruplé en vingt ans

8,1%

de la population vit dans un ménage ayant plusieurs arriérés de paiement

Selon la conseillère en désendettement fribourgeoise, la loi sur le crédit à la consommation n’est pas toujours bien respectée, même des banques qui ont pignon sur rue. C’est pour cela qu’elle conteste régulièrement des décisions de prêt lors de la constitution d’un plan de désendettement. «Beaucoup de personnes prennent un crédit pour payer leurs dettes et ça, c’est vraiment ce qu’il ne faut pas faire. Les taux d’intérêt sont très conséquents et dès qu’on manque une mensualité, le surendettement peut rapidement s’aggraver.»

Préconisé en trois ans, un plan de désendettement doit s’appuyer sur le revenu d’une personne capable d’assumer les remboursements tout en gardant une vie décente et un minimum de motivation à travailler pour payer ses dettes. Ce ne sont pas forcément des personnes parmi les plus précaires qui se retrouvent surendettées, mais celles qui bénéficient de revenus moyens à supérieurs. Pour elles, les causes de surendettement sont souvent dues à des événements marquant dramatiquement un parcours vie, comme un divorce, un accident grave ou une maladie.

Le poids des obligations légales

En Suisse, environ 690’000 personnes, soit 8,1% de la population, vivent dans un ménage ayant plusieurs arriérés de paiement. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), ce sont les personnes à faible revenu, les familles monoparentales, les familles nombreuses et les personnes issues de l’immigration qui sont plus souvent touchées que la moyenne.

Pour Caroline Henchoz, sociologue et professeure à la Haute École de Travail Social de Lausanne (HETSL), spécialiste des questions d’argent et qui mène actuellement une étude sur les liens entre endettement et santé en Suisse dont la sortie est prévue cet automne, il y a un défaut d’information sur notre système, que cela soit à l’école pour les plus jeunes ou à leur arrivée pour les migrants. «Ce qu’on voit, c’est que les personnes migrantes ou les jeunes ne sont pas forcément familiarisés à ce que cela implique de devenir citoyen suisse à part entière et conscients qu’il y a des charges à payer. Ils l’apprennent sur le tas, souvent quand ils reçoivent des rappels. Ensuite, cela prend du temps pour qu’ils mettent en oeuvre certaines procédures pour essayer de régler leurs factures. Et parfois, c’est déjà trop tard...»

«Les dettes d’État pèsent le plus sur la santé des ménages suisses»

En 2021, les dettes fiscales comptaient parmi les arriérés de paiement les plus fréquents: 5,8% de la population a un arriéré d’impôt. Par ailleurs, 4,8% de la population vit dans un ménage ayant au moins un arriéré sur les primes d’assurance-maladie. Les arriérés de paiement sont en revanche assez rares pour le loyer et les intérêts hypothécaires (2,9% de la population).

4,8%

de la population vit dans un ménage ayant au moins un arriéré de primes maladie

5,8%

de la population a un arriéré d’impôt

2,9%

de la population a des arriérés de loyer ou d'intérêts hypothécaires

«Au fond, ce qui est vraiment étonnant, c’est que ce sont les dettes d’État qui pèsent le plus sur la santé des ménages suisses. Gérer ses dettes prend beaucoup de temps. Or avec une santé dégradée, il devient plus difficile de le faire, ce qui peut mener à une aggravation de la situation financière des personnes concernées», relève Caroline Henchoz qui considère que les personnes endettées sont globalement en moins bonne santé physique et mentale que la population générale, d’où encore des coûts supplémentaires à envisager.

«Les personnes endettées sont globalement en moins bonne santé physique et mentale que la population générale»

La chance de pouvoir se désendetter

Heureusement, il semble qu’une lueur d’espoir ait été allumée ce printemps. Le calcul du minimum vital dans la loi sur les poursuites doit intégrer les impôts courants des personnes endettées afin d’éviter la création de nouvelles dettes. Le Conseil des États vient d’adopter tacitement une motion de commission allant dans ce sens.

De plus, l’effacement des dettes pourrait devenir possible pour les personnes lourdement endettées. «Pour la plupart d’entre elles, les procédures d’assainissement existantes ne permettent pas de se désendetter», indique Pascal Pfister, secrétaire général de Dettes Conseils Suisse. «Elles sont endettées à vie. C’est un grand gaspillage de leur potentiel. C’est pourquoi il est urgent de mettre en place un système qui leur permette de prendre un nouveau départ. Le Conseil fédéral souhaite introduire une procédure aux conditions d’accès strictes qui permettrait l’effacement des dettes à l’instar de ce qui se fait en Autriche et en Allemagne. Sous certaines conditions, le créancier serait obligé d’accepter une réduction de la dette. Le débiteur serait saisi pendant quatre ans et ne recevrait que le minimum vital, afin de rembourser le créancier. Passé ce délai, la dette restante serait effacée.»

L’effacement des dettes pourrait devenir possible pour les personnes lourdement endettées.

Le mot de la fin revient à Céline Vara, présidente de Dettes Conseils Suisse, membre de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États qui se réjouit. «La prise en considération des impôts dans le calcul du minimum vital est non seulement sensée, mais elle représente surtout la clé de voûte du désendettement et permettra aux débiteurs et débitrices de mener une vie décente en honorant leurs dettes tout en visant un désendettement durable. Je peux le dire haut et fort: le désendettement profite pleinement à la société, à l’économie et à la santé!»

Les dettes ont de nombreux visages. Quatre personnes racontent comment elles sont tombées dans la spirale de l'endettement

Kevin, 28 ans, informaticien

«Mon premier crédit, c’était 8000 fr. pour payer mes impôts. J’avais 22 ans. Je gagnais bien ma vie, mais je dépensais tout, notamment pour jouer en ligne. Je rembourse encore aujourd’hui. Il faut demander de l’aide à ses proches avant de s’endetter auprès des banques de petits crédits qui exigent d’énormes intérêts si vous ne parvenez pas à rembourser à l’échéance. À l’école, il faudrait des cours pour la gestion de nos finances comme Caritas le fait.»

Loris, 33 ans, chauffeur poids lourd

«J’ai quitté l’école sans diplôme. Je travaillais pour voyager. Au fil des ans, je trouvais de moins en moins de boulot. J’ai regretté mon manque de formation. Le peu d’argent que je gagnais, je voulais en profiter. J’ai laissé de côté impôts et assurance-maladie. Je me suis beaucoup endetté. Je me suis promis que dès que j’aurais un travail régulier, je rembourserais mes dettes. Le jour où j’ai signé mon contrat, j’ai commencé à le faire. Aujourd’hui, je n’ai plus de dettes grâce au plan de désendettement de Caritas.»

Robert, 50 ans, employé communal

«Je suis tombé dans les dettes quand nous avons eu un enfant. Les deux personnes qui devaient le garder pendant que ma femme travaillait se sont désistées dix jours avant qu’elle ne recommence. Elle a dû lâcher son travail pour s’occuper du bébé. C’était le début de l’enfer. Ma seule solution pour que ma famille mange, c’étaient les cartes de crédit dans les magasins. Les impôts sont devenus un trou noir. Plus de quinze ans plus tard, je rembourse encore mes dettes. Si tout va bien, je devrais avoir fini dans une année et demi!»

Hans, 51 ans, employé de commerce

«À 21 ans, j’ai dû m’endetter pour reprendre la ferme de mes parents. À 35 ans, j’ai divorcé. J’ai commencé à négliger mes obligations administratives. Je ne remplissais plus ma déclaration d’impôts. Les premières poursuites sont arrivées, puis les premiers actes de défaut de biens. Un accident m’a contraint à abandonner ma ferme. J’ai reçu une rente AI. Plus tard, en accord avec la SUVA, elle m’a financé une reconversion professionnelle que j’ai terminée avec succès en été 2023 et j’ai pu assainir mes dettes grâce au soutien de Caritas Fribourg.»

Fact Checking

C'est faux!

Les jeunes d’aujourd’hui sont sans limites. Elles et ils dépensent excessivement pour jouer en ligne, s’acheter des vêtements, des jeux vidéo ou des gadgets. Elles et ils contractent une multitude de petits crédits, s’endettent et se surendettent par négligence.

C'est vrai!

Les jeunes ont des dettes parce que leurs parents sont pauvres et qu’ils n’ont pas eu les moyens de les aider à entrer dans la vie active. Ces jeunes ont souvent une méconnaissance des factures incontournables à régler comme les impôts ou l’assurance maladie. Elles et ils sont surexposé-es à une consommation facilitée pour valoriser leur statut social. Il y a une forme d’acharnement de l’État à exiger un remboursement des dettes quels que soient les conditions financières et le contexte dans lequel vivent ces jeunes. Une raison supplémentaire de s’endetter encore plus.