La séparation, source de précarité
Region Vaud | 20 mars 2023 | Lecture 14 min.

En Suisse, deux mariages sur cinq se terminent par un divorce. Outre, le deuil du couple, la pauvreté s’invite sans crier gare. Des époux et parents séparés et des collaborateurs de Caritas en Suisse romande en témoignent. Enquête.
"L’important dans le divorce, c’est ce qui le suit." Hervé Bazin, Madame Ex
«Je ne sais pas ce que je vais donner à manger à mes enfants ce soir…» Un aveu difficile à faire pour cette mère de famille divorcée qui non seulement s’en veut d’imposer une séparation à ses enfants, mais qui culpabilise de ne plus pouvoir leur offrir le minimum vital.
Pour Sabina Cascella, assistante sociale, formée en gestion de budget spécialisée à Caritas Vaud, les problèmes d’argent dus notamment à l’augmentation des charges qui ne sont plus divisées par deux après une séparation, accentuent la douleur émotionnelle : «Le sentiment de solitude s’exacerbe avec une exclusion sociale rapide. On ne peut plus s’accorder les plaisirs d’une sortie ou d’une invitation entre amis, aller au cinéma ou faire une excursion. Il n’y a aucune marge de manœuvre dans le budget. Comme certains me l’ont confié, elles ou ils savent qu’ils vont vers un précipice, mais qu’il n’y a pas d’autre solution que d’y aller!»
Familles monoparentales parmi les plus pauvres
Avant même une séparation, les problèmes d’argent peuvent créer de fortes tensions qui contribuent à la séparation selon Séverine Ummel Débieux, responsable du Service de l’Action social à Caritas Neuchâtel. «30 % environ de nos dossiers concernent des personnes divorcées ou séparées. Principalement pour les mères seules que cette situation empêche de retourner sur le marché du travail. Le souci, c’est que les gens attendent d’être dans l’impasse avant de demander de l’aide pour gérer leur budget et donner la priorité à des factures vitales comme le loyer ou l’assurance maladie.» Pour sa collègue Valérie De Smet, assistante sociale, ce qui compte avant tout, c’est le bien-être des enfants. «Nous soutenons des familles monoparentales en difficulté financière en aidant notamment à l’achat de matériel scolaire ou de sport pour les enfants ou tout simplement de mobilier. Je me souviens du cas e cette femme qui travaillait et dont l’ex-mari a un jour vidé l’appartement de tous ces meubles, même le lit du bébé. Elle a dormi par terre pendant des mois…»
Pour la sociologue et démographe Laura Bernardi, professeur à L’Université de Lausanne et spécialiste des familles monoparentales, la pauvreté reste un problème majeur de la monoparentalité. Selon elle, les politiques devraient promouvoir l’égalité des chances au travail, la garde partagée et l’aide à la formation associée à la facilitation de la prise en charge des enfants lors des temps professionnels. Selon elle, plus les inégalités de genre sont marquées, plus le risque de pauvreté est important, mais bien que les femmes restent les plus concernées, les monoparents forment un groupe social hétérogène.
Des kilomètres pour voir ses enfants
« J’ai vécu une descente aux enfers », relève Michael Aeschlimann. Ce Jurassien de 35 ans, monteur au CFF, est séparé de sa femme depuis près de trois ans. Père de deux enfants de 7 et 4 ans, il ne les voit plus qu’un weekend sur deux et pour le temps des vacances qu’il peut prendre car son ex-femme a déménagé dans le canton de Vaud. «Si je veux voir les enfants, c’est moi qui dois aller les chercher et les ramener en voiture car il n’y a pas de gare à proximité de son nouveau logement.» Quatre heures de route aller-retour et quelques trois cent kilomètres en voiture qui pèsent sur son budget serré. «Au début de notre séparation, je payais 3600 frs de contribution d’entretien pour un salaire de 5500 frs. Je n’avais pratiquement plus rien à la fin du mois pour vivre et je n’avais pas payé certaines factures, ni le loyer de la maison, ni mes impôts, sans compter les frais d’avocat pris en charge pour l’instant par l’assistance judicaire. Heureusement aujourd’hui, la situation s’améliore car je commence à me faire entendre par la justice vaudoise qui a ramené la pension à 700 frs par enfant.»
Très douloureux, son divorce est intervenu après dix ans de vie commune. Un séisme émotionnel qui lui a fait perdre vingt kilos en deux mois et l’a amené vers la précarité. Il a demandé conseil au secteur Social et Dettes de Caritas Jura qui l’a aidé à établir un budget. «Je mène aujourd’hui un style de vie complétement différent où les petits plaisirs de la vie ont pris beaucoup d’importance. J’ai dû arrêter le modélisme qui était ma passion, mais j’essaie de m’accorder une petite sortie de temps en temps avec mon amie actuelle, mais j’ai honte de me le permettre…»
"Je mène aujourd’hui un style de vie complétement différent où les petits plaisirs de la vie ont pris beaucoup d’importance"
Pour Patrick Robinson, porte-parole de la CROP (Coordination romande des organisation paternelles), la situation des parents versant des contributions d’entretien (principalement les pères) est encore largement inexplorée sur le plan statistique. Il affirme cependant qu’il semble que la pauvreté soit au moins aussi grande que dans les ménages monoparentaux gardiens. En effet, dans la plupart des cas, les manquements dans le versement des contributions d'entretien ne sont pas dus à une mauvaise volonté, mais simplement à un revenu insuffisant, ce qui signifie que le débiteur doit se contenter lui aussi de très peu d'argent qui l’amène parfois à ne pas pouvoir accueillir ses enfants dignement.

Calcul du minimum vital
Chaque jugement de divorce est différent selon les canton et les juges, mais en mai 2018, le Tribunal fédéral a imposé à tous la «méthode des frais de subsistance» pour calculer la contribution d’entretien de la personne qui n’a pas la garde de l’enfant : elle couvre les besoins minimaux de l’enfant et du parent qui s’en occupe. En revanche, pour une personne endettée, le calcul du minimum d’existence par l’Office des poursuites ne prend pas en compte les impôts courants. Le-la débiteur-trice ne pourra ainsi plus payer ses impôts courants ou devra vivre en-dessous du minimum en les payant et peut-être devra-t-il s’endetter encore davantage notamment pour payer la pension alimentaire.
Les classes moyennes en route vers la paupérisation
En Suisse une famille monoparentale sur 6 se trouve dans une situation de précarité, mais le parent au revenu moyen ou modeste qui doit assurer une contribution d’entretien au parent gardien tout en ayant un logement assez grand pour recevoir son ou ses enfants, est lui aussi en grand risque de paupérisation. Les parents seuls de la classe moyenne, trop riches pour percevoir des aides mais pas assez pour s'en sortir seuls, s'ajoutent désormais aux familles défavorisées ou à bas revenu.
«Nous étions copropriétaires. Je suis restée dans la maison, mais elle est en très mauvais état. Il y a des problèmes d’humidité et de chauffage, sans compte des rats derrière les murs de la cuisine que je ne peux pas faire assainir», explique Carine, 53 ans. Séparée de son mari qui lui paie une pension, elle vit avec ses enfants 18 et 20 ans encore étudiants. Elle se prive beaucoup pour arriver à faire à manger pour tout le monde jusqu’à la fin du mois. Souffrant d’un problème cardiaque, elle ne peut travailler plus d’un mi-temps. «C’est comme une épée de Damoclès constamment sur ma tête. J’ai demandé d’accéder à l’A.I, mais je n’ai aucune réponse pour l’instant. Si nous avions été en garde partagée, cela aurait été aussi moins lourd émotionnellement et mentalement.»
Pour Sabina Cascella, l’assistance sociale de Caritas Vaud, il est temps que les politiques se penchent sur la question de l’effacement des dettes des personnes surendettées qui ont de grandes difficultés à se réinsérer dans la société. «Par exemple, il n’y pas de sens à ne pas tenir comptes des impôts dans le calcul du minimum vital pour un parent divorcé qui va devoir payer une pension alimentaire ou pour celui qui se retrouve à travailler à temps partiel avec un petit salaire tout en élevant les enfants.»
Ainsi Nathalie, 49 ans, divorcée depuis dix-sept ans, continue à payer pour les dettes que le couple avait à l’époque et n’a jamais pu retrouver des finances saines. «Nous avions des poursuites que j’ai toujours .C’est moi qui ai eu la garde de mes deux enfants. Pendant longtemps, je n’ai eu que des petits boulots. Maintenant, j’ai trouvé un travail stable à Caritas Vaud, mais j’ai toujours mon fils à la maison. J’ai une saisie de 1000 frs . sur mon salaire de 3800 frs. A cause des poursuites, je ne peux quitter un appartement au loyer exorbitant (2750 frs.)que j’ai pris avec mon conjoint actuel aujourd’hui au chômage. Je fais très attention, mais récemment, j’ai dû aller d’urgence chez le dentiste sous peine de perdre mes dents et ce genre de facture inattendue pèse lourd. »
Vaillante, Nathalie garde le moral grâce à son chien avec qui elle fait de grandes promenades, mais à bientôt cinquante ans, son rêve serait de ne plus avoir de dettes. Enfin!
Une motion pour effacer les dettes des plus pauvres
Selon plusieurs sources, notamment les services de recouvrement et d’avance pour les pensions alimentaires des six cantons romands qui ont vu les dossiers augmenter, le divorce augmente la précarité des parents divorcés que l’on soit du côté des débiteurs, les pères le plus souvent, ou des parents qui ont la garde des enfants, les mères pour environ 80 %. Les individus fortement endettés n’arrivent pas à s’en sortir et les solutions prévues par la loi excluent en général ceux qui possèdent très peu de ressources. La Suisse est l’un des seuls pays d’Europe qui ne permet pas aux personnes en graves difficultés financières d’effacer leurs dettes. Ce printemps, une motion du sénateur socialiste Claude Hêche a obtenu le soutien unanime des deux Chambres du parlement fédéral et elle donne une lueur d’espoir puisqu’elle demande au gouvernement de modifier la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite afin de permettre la réinsertion économique à court terme des personnes surendettées. Elle propose également la mise en place d’un mécanisme permettant l’effacement des dettes sous certaines conditions.
Le prix à payer pour rompre est trop cher pour certains qui ne peuvent quitter le foyer conjugal malgré les tensions. Ainsi François, quadragénaire vaudois qui ne trouve plus dans son couple la complicité et la tendresse qu’il désire, mais qui reste par peur de ne pouvoir assumer financièrement une séparation. «J’ai vu autour de moi des collègues ou des amis se séparer et j’ai vu les coûts énormes que cela engendre. Pour moi, cela équivaudrait à demander l’aide sociale et ça, je ne le veux à aucun prix ! »
Et alors que le divorce s'est banalisé, de plus en plus de couples séparés continuent à vivre sous le même toit, au moins temporairement. Selon une étude du sociologue français Claude Martin, directeur de recherche au CNRS, présentée dans le journal Le Monde, le coût des loyers et la peur des charges dédoublées qui rendent les conséquences financières de toute séparation de plus en plus lourdes à supporter obligent à ces cohabitations forcées en Europe et aux États-Unis principalement. Encore marginales en Suisse, elles pourraient se développer avec la dégradation des conditions économiques et de l'appauvrissement, soit 8,2 % de la population suisse en 2017 contre 6,7% en 2014.

Crédit pour la pension
La pension peut être avancée par le service compétent de chaque canton si le revenu familial et la fortune sont inférieurs aux normes. Ledit service se retourne ensuite contre le débiteur. Il peut également soutenir un ex-conjoint dans les démarches nécessaires en vue d’obtenir le versement des pensions dues. Vaud: BRAPA ; Genève: SCARPA ; Neuchatel: ORACE ; Valais: BRAPA; Jura: ARPA ; Fribourg: SASoc.
Obligations d’entretien entre époux
Après un divorce, chacun des ex-époux doit en principe subvenir lui-même à son entretien.
L’ex-époux le moins bien loti peut avoir droit pendant un certain temps à un soutien financier de la part de l’autre ex-époux, en fonction de la durée du mariage, de la répartition des tâches pendant cette période, de son âge, de son état de santé, de son niveau de formation professionnelle, de ses perspectives de gain et de ses capacités financières.
Le tribunal décide du montant de la contribution d’entretien ou pension alimentaire sur la base de la situation financière, soit en fonction:
- des moyens financiers de chacun des ex-époux (le minimum vital de l’ex-époux qui doit verser la contribution d’entretien est protégé)
- des besoins financiers (coûts pour le logement, l’assurance-maladie, la nourriture, les habits, etc.).
Convention de séparation
Les ex-époux ou le tribunal préparent une convention de séparation pour décider de qui fera quoi et qui doit être examinée et approuvée par le juge.
Après le divorce, les parents restent tenus de subvenir à l’entretien de leurs enfants au moins jusqu’à que ceux-ci atteignent la majorité ou terminent une première formation, qui leur permettra d’entrer dans la vie professionnelle. La contribution d’entretien doit correspondre aux besoins de l’enfant, sans toutefois porter atteinte au minimum vital de l’ex-époux qui doit verser la contribution. Le tribunal décide du montant de la contribution d’entretien :
- si l’enfant vit surtout avec un des parents, sa contribution à sa prise en charge consiste essentiellement dans l’éducation a lui donner.
- si l’enfant ne vit pas chez un parent, il doit verser chaque mois des contributions d’entretien, pour autant que son revenu soit supérieur au minimum vital. Il faut savoir que son investissement dans la prise en charge de l’enfant est également pris en considération dans le calcul de la contribution d‘entretien.

« … le seul sentiment qui dure, c’est le chagrin d’une rupture. »
L’argent au cœur du divorce
Le divorce est-il un juteux business? En voyant à quel point les personnes divorcées s’appauvrissent après leur séparation, il semble que oui. Frais d’avocats - malgré le e-divorce proposé par des organismes en ligne tels easydivorce ou divorce.ch - double loyers, double voiture, double chambres d’enfants, double nourriture, etc. Avec quelque 670'000 personnes touchées, la pauvreté a pris de l'ampleur en Suisse, en passant de 7,5 à 8,2% de la population en 2017, soit une hausse de 10% en un an, selon l'Office fédéral de la statistique. Avec une constante, les personnes seules, celles vivant dans un ménage monoparental sont fortement concernées par la pauvreté. Et malgré Julien Clerc qui chante que : « deux maisons, deux quartiers, deux gâteaux d'anniversaire, multiplier les pères et mères, n'a pas que des mauvais côtés… » sa chanson Double enfance pointe «que le seul sentiment qui dure, c'est le chagrin d'une rupture.» Alors quelles solutions pour éviter déchirement émotionnel et le poids des dettes ? La médiation de couple ou le conseil conjugal comme proposés par Caritas Jura ou Caritas Vaud peuvent apporter un apaisement, alors que les services désendettement des différentes Caritas de Suisse romande permettent de remettre de l’ordre dans un quotidien nouvellement désorganisé.