«Je veux pouvoir subvenir aux besoins de ma famille»
7 octobre 2024 | Lecture 8 min.
Avec son petit salaire, Amir Edris* a bien du mal à couvrir les frais de sa famille. Dans cette situation difficile, l’aide de Caritas est très précieuse.
Le parquet grince un peu lorsque la porte s’ouvre, au quatrième étage. Elle donne accès directement à la chambre à coucher d’un petit appartement soigné, d’une pièce et demie, où vit la famille Edris. Amir*, le père (34 ans), sourit et nous invite à entrer. Derrière lui, sa femme Ava* est assise sur le lit: il n’y a pas beaucoup de place pour s’assoir dans ce petit espace.
Elle porte dans ses bras son bébé, né il y a un mois. «Une petite fille», dit Amir, très fier, en la désignant de la main. Il aimerait inviter des amis pour fêter sa naissance: l’hospitalité est une vertu très importante en Afghanistan, son pays natal. «On sert du thé à tout le monde», raconte-t-il en riant. Il jette un regard à son appartement étroit, à son lit, et au petit sofa installé à côté. «Impossible d’inviter quelqu’un ici.»
Encore plus de soucis depuis la naissance
En quatre pas, Amir rejoint la kitchenette. Elle contient une étagère dont les tiroirs ne ferment plus, un four, trois plaques et un évier. Une petite table carrée, avec des chaises dépareillées, est installée à côté. Amir hausse les épaules tristement: «Moi, je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre.»
Depuis la naissance de son enfant, cependant, l’avenir l’inquiète beaucoup. Hier soir, quelques gouttes sont tombées dans la cuisine à cause d’une fuite dans le plafond. «Ava et moi avons rapidement installé un seau», raconte-t-il. Il ne veut pas se plaindre: il craint trop de perdre son appartement une pièce, ce qui aurait des conséquences encore plus graves pour l’enfance de sa fille.
Des responsabilités précoces
La vie d’Amir Edris a été compliquée dès l’enfance. Lorsqu’il avait dix ans, son père a été enlevé par les Talibans. «Il a passé six ans derrière les barreaux, et est revenu totalement vidé de ses forces.» Le regard d’Amir se trouble. Pendant l’absence de son père, il a dû jouer le rôle de chef de famille. «J’ai planté des légumes, que j’ai vendu au marché. A la maison, nous mangions tout ce que je pouvais trouver pour faire un repas.» Être dans le besoin à l’époque lui a appris à développer des compétences qui lui servent aujourd’hui encore dans son travail de cuisinier.
En arrivant en Suisse en 2015, à 25 ans, il a commencé par vivre dans un centre d’accueil. «Je voulais tout faire pour m’intégrer. Pour cela, bien sûr, il fallait apprendre la langue.» Il a fait du théâtre et participé à un groupe de danse interculturel.
Son allemand s’est constamment amélioré, et il a travaillé en tant qu’interprète bénévole au centre d’asile. «J’ai fait ce que j’ai pu, je ne voulais être une charge pour personne.» Grâce à son engagement, il a trouvé un poste à temps plein dans la cuisine d’une clinique. Un poste dans lequel il accepte des services et des horaires de travail irréguliers, notamment le week-end.
«J’ai fait ce que j’ai pu, je ne voulais être une charge pour personne.»
Aujourd’hui, en plus de la plonge, il participe aussi à la confection des pâtisseries, et même à la préparation de plats complexes. «Le travail me plaît beaucoup, et j’ai aussi beaucoup appris sur la préparation des aliments», ajoute-t-il en hochant la tête. Des formations continues lui permettent aussi d’améliorer encore ses connaissances sur les intolérances et les régimes alimentaires.
Un grand huit émotionnel
Son emploi lui permet d’accéder à une autorisation de séjour (permis B), grâce à laquelle il a pu se rendre en Afghanistan et épouser sa fiancée Ava. «Ce voyage a été un grand-huit émotionnel. D’un côté, j’étais incroyablement ému de pouvoir serrer dans mes bras ma femme et ma famille», mais d’un autre côté, voir la situation insoutenable de son pays d’origine a été une expérience douloureuse. «Je voulais permettre à Ava de sortir du pays aussi vite que possible. En tant que femme, sous le régime des Talibans, elle n’était plus autorisée à occuper le poste qu’elle avait jusque-là et ne pouvait plus non plus se déplacer librement.» Malheureusement, les documents nécessaires coûtent cher… Si cher qu’Amir a été forcé d’emprunter de l’argent à des connaissances en Suisse; des dettes qui représentent aujourd’hui une charge supplémentaire.
«Je voulais permettre à Ava de sortir du pays aussi vite que possible. En tant que femme, sous le régime des Talibans, elle n’était plus autorisée à occuper le poste qu’elle avait jusque-là et ne pouvait plus non plus se déplacer librement.»
Rembourser ce montant avec son petit salaire est aujourd’hui encore un problème pour cet excellent cuisinier. «A mon retour, en désespoir de cause, j’ai cherché du soutien partout.» Un collègue de travail finit par lui parler de la consultation sociale de Caritas. Debora Sacheli, responsable des services sociaux régionaux de l'Eglise Catholique (KRSD), – les consultations sociales de Caritas en Argovie – s’est montrée très à l’écoute. «C’est un soulagement incroyable d’avoir quelqu’un qui me soutient», souligne Amir. Très vite, la collaboratrice du KRSD s’est penchée sur toutes ses questions, et a pu faire en sorte qu’il obtienne rapidement une aide pour résoudre ses différents problèmes.
Dettes et petit salaire
«Aujourd’hui, ma femme a besoin d’une bonne alimentation pour reprendre des forces.» Amir secoue la tête tristement et nous montre, sur son téléphone, le solde de son compte bancaire. Il ne lui reste que quelques francs pour tenir pendant les quatre jours qui restent avant le versement de son salaire. Il gagne nettement moins de 4 000 francs nets; c’est bien peu pour couvrir le loyer, l’assurance maladie et les autres frais de sa famille.
Il envoie tout de même régulièrement une petite partie de son salaire en Afghanistan. Quand il en parle, ses yeux s’emplissent de larmes. «Je ne sais pas quoi faire. Mes parents sont tous les deux malades, et je veux à tout prix les aider.» Son regard se pose un instant sur le lit, où sa femme et son enfant se reposent un peu sous une fine couverture. Lui pense trop à ses dettes et aux soucis du quotidien pour trouver le sommeil. Il ne veut pas avoir recours à l’aide sociale: cela retarderait nettement l’obtention d’un permis C (autorisation d’établissement) – un cercle vicieux.
C’est justement dans ce cadre que l’offre gratuite de Caritas joue un rôle important: non seulement Amir est en mesure de parler de ses problèmes avec une assistante sociale, mais elle cherche activement des solutions avec lui. Les premières affaires du bébé ont été obtenues avec l’aide de fondations, et une demande d’allocation parentale d’éducation a été déposée auprès du canton.
C’est aussi Caritas qui a fait en sorte qu’Ava puisse se rendre deux fois par semaine à un cours de langue financé par le canton. Pendant que sa femme est absente, c’est Amir qui s’occupe de leur petite fille. «Il est important pour moi qu’Ava puisse s’installer en Suisse et faire une formation pour exercer le métier qu’elle a choisi: coiffeuse. J’aimerais qu’elle ait des perspectives.» Amir sourit et baisse la tête. Lui aussi doit lutter tous les jours pour garder confiance en l’avenir.
Garder confiance
Que leur réserve l’avenir? Il faudra encore attendre trois ans pour qu’Amir puisse déposer une demande de permis C. «Je suis incroyablement reconnaissant d’avoir trouvé un travail qui me le permette. Nous n’avons pas besoin de beaucoup d’argent, mais j’aimerais pouvoir rembourser mes dettes.» Amir soupire, regarde sa femme et son enfant. «Peu importe d’avoir une voiture.» Il montre son appartement des mains. «Habiter ainsi, ce n’est pas non plus un problème tant que tout le monde est en bonne santé. J’ai tenu la main de ma femme pendant toute la durée de l’accouchement. Maintenant, je veux pouvoir prendre soin d’elle et de mon enfant.»
*Noms d'emprunt
Cet article est paru dans le «Caritas regional» – le magazine des organisations régionales de Caritas de Suisse alémanique. Le magazine paraît deux fois par an.
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