Dans les coulisses des hébergements d'urgence : entretien avec deux surveillants sociaux
Armand Uberti et David Cordova illustrent à travers leurs témoignages l’engagement profond et la complexité du rôle de surveillant social. Leur travail, souvent nocturne et exigeant, est une source précieuse de soutien pour les personnes en situation de précarité, offrant non seulement un toit, mais aussi une présence humaine et bienveillante.
Texte : Joëlle Jungo
Qu’est-ce qui vous a poussé à endosser ce rôle de surveillant social dans un hébergement d’urgence ?
Armand Uberti : Pendant mon service civil à l’accueil d’urgence de Lausanne, j'ai réalisé que j'étais particulièrement sensible à la précarité. Lorsque j'ai vu l'annonce de Caritas Vaud pour le Hublot, j'ai tout de suite postulé.
David Cordova : C’est mon premier emploi après mes études. Je me retrouvais dans les valeurs de Caritas et j'étais attiré par le travail de nuit, ce qui me permet de lier plusieurs activités. Maintenant, je travaille à 100% de nuit, y compris dans un hébergement d’urgence à Genève.
Pouvez-vous expliquer vos missions en tant que surveillant social ?
AU : Nous faisons environ 6 veilles par mois. La soirée commence à 19h30 par l’accueil des résidents, puis la préparation des repas, la distribution des linges et draps et l’intendance. Après minuit, c’est la veille passive jusqu’à 6 heures du matin, nous sommes disponibles en cas de besoin ou d’urgence.
DC : Notre rôle est de garantir le respect des règles et de la structure, tout en accueillant les usagers de la meilleure façon possible, et en agissant en fonction des attentes ou des urgences.
Comment collaborez-vous avec d'autres équipes professionnelles pour assurer la sécurité et le bien-être des résidents ?
AU : La nuit, l’EMUS (Équipe mobile d’urgences sociales) peut nous appeler pour ouvrir les lits d’urgence du foyer. À Vevey, nous travaillons également avec AACTS (Addiction, Action Communautaire, Travail Social), qui fournit les repas chauds du soir, et une infirmière passe une fois par semaine.
DC : Nous restons informés des prestations locales pour orienter au mieux les résident·es. À Nyon, nous recevons des personnes envoyées par l’hôpital de Prangins ou la Maison des Lionnes à Renens.
Comment gérez-vous les relations avec les résidents, surtout ceux en détresse ou en crise ?
AU : Lors de ma dernière veille, il y a eu une altercation entre deux résidents. Dans ce genre de situation, je préfère isoler la personne la plus véhémente pour discuter avec elle et comprendre ce qui la dérange. Cela permet souvent de désamorcer les tensions en aidant la personne à exprimer ses émotions plutôt que de les refouler.
DC : Les situations difficiles surviennent souvent à la fin du séjour des résidents, lorsqu’ils ne savent pas où dormir le lendemain. Cette incertitude génère beaucoup de stress et d’anxiété, surtout en hiver, où les centres sont souvent pleins. C’est un moment délicat à gérer, car ils se sentent souvent très vulnérables.
Pouvez-vous partager une expérience marquante dans ce rôle ?
AU : En Suisse, on ne réalise pas toujours à quel point la précarité peut toucher tout le monde. J’ai été particulièrement touché par une jeune fille qui a fêté ses 19 ans au centre. Elle a été ballottée de foyer en foyer et n’a jamais connu son père. Un autre exemple est celui d’un ancien banquier qui, après avoir perdu son emploi et son logement, essaie de garder sa dignité en s’habillant bien chaque jour. Ces histoires montrent à quel point il est important de visibiliser cette précarité et d’apporter un peu de soutien à ces personnes.
DC : À Nyon, nous avons commencé à cuisiner ensemble avec le centre d’appui social et d’insertion (CASI), ce qui ajoute une dimension conviviale. Je me souviens d’un couple qui a pu exceptionnellement dormir ensemble, car le centre était pratiquement vide. Ces moments de partage et de solidarité sont particulièrement marquants.
Quels sont les défis émotionnels et psychologiques de ce métier ?
AU : Il est essentiel de garder une certaine distance émotionnelle. Nous ne pouvons pas sauver tout le monde, mais nous essayons de redonner un peu de confiance aux résidents. En hiver, lorsque nous devons dire à quelqu’un qu’il doit dormir dehors par -10 degrés, c’est très difficile. Nous faisons tout notre possible, mais nous ne sommes pas responsables de leur situation.
DC : Le défi est de reconnaître les limites de notre rôle. Nous offrons un temps de séjour limité, et il est parfois difficile de ne pas pouvoir faire plus. On se pose souvent la question : « Est-ce que ces 10 jours passés ici leur ont vraiment été utiles ? ». Heureusement, le soutien entre collègues est fort, et nous partageons beaucoup nos expériences et pratiques.
Q: Si vous aviez une baguette magique, qu’amélioreriez-vous ?
AU : J’aimerais que nous ayons plus de moyens, que ce soit en matériel ou en infrastructures. Parfois, il manque des linges ou certaines installations sont défectueuses, ce qui complique notre travail. Avec plus de ressources, nous pourrions moins être à flux tendu.
DC : Je changerais les règles de durée du séjour (ndlr : 3 mois pour les personnes de nationalité suisse ou disposant d’un permis B ou C, sinon 10 nuits). C’est une durée très courte pour pouvoir se stabiliser et se projeter ; à mon sens, un mois serait plus approprié. Pour les personnes avec la nationalité suisse ou un permis B ou C, je proposerais plus d’appartements de transition, qui sont plus adaptés et portent leurs fruits.
Le Hublot
A Vevey: 22 lits dont 4 réservés aux femmes + 2 lits de réserve
Le Phare
A Nyon: 10 lits dont 4 réservés aux femmes + 1 lit de réserve
La Lucarne
Yverdon: 26 lits dont 4 réservés aux femmes + 1 lit de réserve
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