08.11.2024
Le droit à l'alimentation, un enjeu dans les situations de surendettement
Selon un sondage mené auprès de nos bénéficiaires, deux tiers des personnes surendettées mangent moins et moins bien en raison de leur situation financière.
Texte : Sophie Buchs - Photo : k-photography.ch
Depuis 2023, les Genevoises et Genevois ont un droit constitutionnel à l’alimentation, c’est-à-dire un droit à « une alimentation adéquate et à être à l’abri de la faim ». Pour le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, le droit à l’alimentation doit permettre « un accès libre et régulier à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, mais aussi de permettre une vie physique et psychique (…) libre d’angoisse, satisfaisante et digne ».
Nous savons que l’alimentation est un marqueur d’inégalités et que les personnes en situation de précarité n’arrivent pas toujours, pour plusieurs raisons, à s’alimenter de façon adéquate. Nous savons également que le surendettement a des conséquences sur la santé physique et mentale des personnes concernées et qu’il conduit à une baisse des ressources monétaires et psychiques à consacrer à la santé.
Afin de mieux appréhender la problématique croisée du surendettement et de l’alimentation, Caritas Genève, le CSP Genève et la Fondation genevoise de Désendettement ont récemment mené une petite enquête auprès de leurs bénéficiaires. Un questionnaire a été envoyé à des personnes en situation de surendettement afin de connaître leur point de vue concernant leur propre alimentation. 189 personnes ont répondu et nous souhaitons partager ici certains résultats et leurs commentaires.
Le premier résultat intéressant du sondage concerne l’aide alimentaire : 75 % des répondant∙e∙s ne bénéficient d’aucune aide concernant l’alimentation, malgré leur situation financière. Ainsi, 75 % des personnes interrogées estiment qu’elles ont diminué la quantité ou la qualité de leur alimentation du fait de leur situation. Elles répondent majoritairement avoir diminué la quantité de viande ou de poisson achetée et plutôt choisir des produits de base ou à bas coût.
Certain∙e∙s indiquent ne plus pouvoir s’acheter de produits bio ou « bons pour la santé », d’autres indiquent que le stress influence la quantité ou le type d’aliments privilégiés. Enfin, certain∙e∙s affirment ne plus avoir la capacité de se faire plaisir ou de pouvoir participer à la vie sociale autour de l’alimentation (aller au restaurant, inviter des amis, se faire inviter ou fêter des occasions comme un anniversaire ou Noël).
De façon préoccupante et concordante avec d’autres sondages menés auprès de bénéficiaires de l’aide alimentaire, deux tiers des répondant∙e∙s soulignent avoir sauté un ou plusieurs repas pendant le mois précédant le sondage et un tiers indique avoir sauté un ou plusieurs repas pour pouvoir nourrir son enfant.
Concernant leur perception, trois quarts des personnes interrogées estiment qu’elles se nourriraient autrement si elles n’étaient pas en situation de surendettement.
Enfin les répondant∙e∙s confirment très majoritairement que leur situation financière a des conséquences sur leur santé physique et surtout mentale.
Ces résultats nous permettent d’éclairer notre expérience de terrain concernant la santé des personnes en situation de précarité ou de surendettement. En effet, l’alimentation est un pilier fondamental de la santé globale. Considérer l’alimentation comme un droit n’est pas banal, c’est un investissement dans une approche holistique des besoins et du bien-être de tous les Genevois et Genevoises.
Dans nos ateliers Cuisine et Santé, nous constatons que notre alimentation est représentative de notre culture, de nos habitudes, mais également de notre santé psychique et de nos émotions. L’appréhender différemment est un vrai parcours fait d’essais, de petits changements et bouleversements. Et pour gérer une alimentation saine à petit budget, il faut également dépasser les discours dominants. En situation de surendettement, le stress est tellement important qu’entreprendre une telle démarche peut sembler difficile voire impossible.
La mise en oeuvre du droit à l’alimentation est ainsi une réelle opportunité. Il permet en effet de changer la façon dont la société regarde l’alimentation et d’instaurer un système alimentaire plus juste, du producteur au mangeur, y compris quand ce dernier est en situation financière difficile.