Mag Interview Gregoire


"Cela devient de l'extorsion"

En 2022, le Tribunal fédéral condamnait pénalement l'ancien administrateur d'une société de recouvrement pour des pratiques illicites.
Eclaircissement sur ce cas et ces sociétés peu scrupuleuses.

Mandatées par des entreprises, les sociétés de recouvrement sont chargées de récupérer l’argent de factures impayées. Souvent agressifs, parfois illicites, les moyens utilisés pour contraindre les débiteurs et débitrices à payer sont régulièrement pointés du doigt. Par ailleurs, des « frais de recouvrement » exorbitants et surtout indus sont ajoutés qui viennent doubler, tripler, voire quadrupler la facture initiale, pouvant mettre des personnes en réelle difficulté, comme le constatent régulièrement les juristes et assistant∙es sociaux∙ales de Caritas Genève. Un récent arrêt du Tribunal fédéral* pourrait faire bouger les choses. Spécialiste de la question, Maître Grégoire Geissbühler nous livre quelques explications.

En décembre dernier, vous avez publié un article** sur cet arrêt du Tribunal fédéral. Pourquoi?

Pour une raison qui m’échappe, cet arrêt est passé sous les radars, alors qu’il traite de points importants quant à la pratique problématique de beaucoup de sociétés de recouvrement. J’ai donc décidé de le décortiquer afin de mettre en avant les enseignements qu’on peut tirer des prises de position du Tribunal fédéral dans ce jugement.

Pouvez-vous nous résumer en quelques mots cet arrêt et ses enseignements?

Il s’agit de la condamnation pénale, pour tentative d’extorsion, du directeur d’une société de recouvrement. L’arrêt souligne le procédé illicite élaboré pour récupérer de l’argent indu – courriers incessants, intimidation, menace de poursuites et de mise sous tutelle, etc. –, un procédé reconnu comme un acte de contrainte. Le fait de contraindre une personne à s’acquitter de sommes indues est de l’extorsion. Et l’extorsion est un crime réprimé par le code pénal !

L’avancée notable, c’est que le Tribunal fédéral reconnaît la menace de poursuite et la poursuite comme un dommage sérieux : si la créance est indue, cela devient de l’extorsion. Le Tribunal reconnaît aussi les frais de recouvrement comme indus et leur réclamation, illicite. Même si ce n’est pas le coeur de l’arrêt, c’est écrit et ça fait donc jurisprudence.

Si on pousse le raisonnement, le fait de récupérer de manière régulière des sommes indues sous la contrainte, tel que le font ces sociétés en exigeant des frais de recouvrement, pourrait s’apparenter à de l’extorsion par métier ; ça devrait en faire réfléchir certains. Si on va encore plus loin, les banques aussi sont en danger. L’argent issu d’une extorsion est de l’argent sale. Or le passage d’argent sale et son utilisation deviennent du blanchiment. Au vu de cet arrêt, elles devraient commencer à examiner attentivement la relation bancaire qu’elles ont avec ces sociétés de recouvrement.


Le Tribunal reconnaît aussi les frais de recouvrement comme indus et leur réclamation, illicite.


Quels conseils donner aux personnes qui reçoivent un courrier d’une de ces sociétés?

D’abord, ne pas paniquer. Une société de recouvrement n’a pas plus de pouvoir qu’un particulier. Il faut les descendre de leur piédestal et ne pas entrer dans le climat de peur qu’elles veulent instaurer. Ce n’est pas parce qu’une société de recouvrement est là que la situation sera pire ou meilleure.

Ensuite, il faut systématiquement contester les frais de recouvrement : ils ne sont pas dus. Peu importe la manière dont ils sont présentés, ils sont abusifs. La seule chose qui est due est la facture initiale et les intérêts moratoires de 5 % par année (éventuellement des frais de rappel, mais même là, les possibilités sont très limitées).

Ce que je conseille à mes clients, c’est de ne pas communiquer avec ces sociétés mais de se tourner vers l’entreprise initiale (le créancier de base).

Quelle réponse politique?
Pour l’instant, il n’y a pas de volonté des ministères publics de s’attaquer à ce problème, car les procédures sont extrêmement lourdes et longues. Il n’y a pas non plus de volonté du Conseil fédéral de statuer là-dessus. Paradoxalement, ce genre d’arrêt lui donne raison : pas besoin de légiférer puisqu’on peut saisir les tribunaux pénaux. Ce serait néanmoins beaucoup plus simple de prendre le système américain ou français. Les frais et méthodes de recouvrement agressives y sont condamnés par de grosses amendes, voire de la prison. J’espère qu’avec cet arrêt, les choses vont bouger. Alors peut-être que ces sociétés vont évoluer et mieux s’autoréguler.

*Arrêt du Tribunal fédéral du 4 novembre 2022, causes 6B_1236/2021 et 6B_1246/2021
**G. Geissbühler, Sociétés de recouvrement : (enfin) une réponse pénale ?, « Plaidoyer » 6/2023.

Retrouvez l'intégralité du Caritas.Mag No 20 : https://caritas-regio.ch/fr/me...

Propos recueillis et texte : Sévane Haroutunian
Photo de Maître Grégoire Geissbühler : Diana M Photography
Photo web : Caritas Genève